Réformer, ça n’est pas bouleverser

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La loi Macron, au-delà de son contenu, est un vrai bond en avant méthodologique. Nous avons souvent tendance à considérer que la politique économique est forcément d’un bloc, permettant les clivages idéologiques les plus obscurs, les plus inefficaces et les plus éloignés de la réalité. On a beaucoup reproché à cette loi de comporter de multiples incursions dans des domaines divers, mais elle rappelle qu’on peut mettre en oeuvre une politique économique sans bouleverser obligatoirement le monde. Or, nous allons vivre dans les deux ans qui viennent une période de croissance réelle mais modérée, à la limite du rythme qui autorise vraiment l’inversion de la courbe du chômage. Et l’amélioration vient en grande part de notre environnement extérieur. Il faut aussi reconnaître que la diffusion massive de liquidités grâce à l’assouplissement quantitatif (« quantitative easing ») favorise un temps la reprise. Mais, si l’on veut doper la croissance, on peut le faire sans véritable financement public supplémentaire, sans loi exceptionnelle, sans bouleversement des équilibres sociaux de notre pays, en un mot sans nos drames habituels. Insistons sur trois directions : délais de paiement, duration de la dette, politique du logement. Dans ces trois domaines aux implications allant bien au-delà des aspects techniques, nous péchons depuis longtemps par défaut d’analyse, par manque de volonté ferme et durable. Pourtant, analyse et volonté sont au coeur de la politique économique.

D’abord, les délais de paiement. Des mesures intéressantes viennent d’être proposées pour accélérer le développement des PME, mais la question des délais de paiement reste taboue. On sait qu’il y a entre 10 et 15 milliards de flux de trésorerie négatifs pour les PME chaque année, uniquement liés au fait que la loi n’est pas respectée. Imaginons un instant que l’on décide une vraie politique de remise en ordre de ce dysfonctionnement incroyable et qui engendre chaque année à la France 25 % des faillites de PME et beaucoup de destructions d’emplois. Il est vraisemblable que l’on pourrait récupérer pour les PME et TPE en quelques mois de l’ordre de 2-3 milliards d’euros. Pas de lois, sauf celles qui existent déjà, pas de 49-3, uniquement quelques responsables déterminés et le climat des affaires pour cet immense tissu d’entreprises serait totalement modifié. L’Etat débiteur devrait donner le bon exemple, ce qui aiderait à enclencher une dynamique vertueuse…

Deuxième axe : nous vivons dans l’anxiété permanente d’émettre chaque année plusieurs centaines de milliards d’euros d’obligations d’Etat et, surtout, nous prenons le risque que, si les taux d’intérêt se mettent à augmenter, les charges d’intérêt de la dette publique soient considérablement alourdies. Pourquoi alors ne pas infléchir notre politique qui, à juste titre il y a quelques années, a privilégié les emprunts sur une durée assez courte et adopter une gestion de la dette publique qui apaiserait le climat anxiogène dans lequel nous vivons ? Pas besoin de grand chamboulement, seulement une action déterminée en profitant des taux encore modiques pour emprunter à long terme et à taux fixes. L’objectif est clair : amortir, par des choix judicieux, le choc de taux d’intérêt envisageable au plan mondial pour les deux-trois ans à venir et qui pourrait considérablement perturber les ajustements budgétaires.

Enfin, et c’est vraisemblablement là le plus important, la politique du logement. Nous ne revenons pas sur les deux dernières années terribles que nous avons vécues, mais au moment de la reprise nous continuons à avoir des demandes de permis de construire en régression. Quel constat ! Chacun a sa solution. Des décisions peuvent être prises sans alourdir le budget de l’Etat. Les communes ne veulent pas donner de foncier, alors il faut que l’Etat ou les communautés de communes reprennent la main. Les normes sont trop lourdes et renchérissent massivement le coût de l’immobilier. Alors il faut les alléger surtout quand les coûts des dispositifs l’emportent sur leurs avantages. Des centaines de milliers de jeunes attendent tout simplement de pouvoir se loger. Comment aborder la rémunération d’un jeune non qualifié pour l’insérer sur le marché du travail si en même temps on ne lui propose pas des conditions de logement permettant de vivre de manière indépendante ? C’est l’équilibre lié de notre société et du marché du travail qui est en jeu. Là aussi on n’évitera pas des mesures exceptionnelles. Une fois le cap défini, la politique économique est d’abord et avant tout un art d’exécution.

Christian de Boissieu Jean-Hervé Lorenzi

Christian de Boissieu est professeur à l’université de Paris-I. Jean-Hervé Lorenzi est président du Cercle des économistes.