le projet de Bruxelles pour durcir l’accès aux marchés financiers européens

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Le texte ne cite jamais ni le Royaume-Uni ni le Brexit. Mais le message en filigrane est clair : une fois la sortie de l’Union européenne opérée, et la perte du « passeport  » financier qui va avec, la City risque d’avoir plus de mal qu’espéré à se rouvrir les portes des marchés financiers européens. C’est ce qui ressort d’un document de travail de la Commission européenne, révélé par le « Financial Times » lundi matin puis publié lundi après-midi par l’exécutif européen.

Ce rapport, rédigé par la Direction générale (DG) des marchés financiers et mis en branle peu après le référendum britannique, entend préciser le fonctionnement des « régimes d’équivalence » et poser quelques pistes pour une éventuelle réforme. Or l’industrie financière britannique compte s’appuyer sur ce dispositif via lequel l’UE ouvre, au cas par cas, ses marchés financiers aux industries des pays tiers dont les réglementations sont jugées comparables aux canons de régulation en vigueur en Europe qui se sont développés après la crise de 2009.

En apparence, c’est une formalité pour la City, puisque les règles européennes y sont déjà en vigueur. Mais l’affaire ne sera pas aussi simple, fait comprendre la Commission. Le rapport rappelle que la décision finale d’accorder ou non l’équivalence est à « sa discrétion ». Il réaffirme le principe d’une approche « proportionnelle et basée sur le risque »,« au cas par cas, secteur par secteur et pays par pays », et, surtout, il prône une vigilance très accrue pour « les pays tiers à fort impact « … En clair, les mastodontes anglais ne doivent pas s’attendre à trouver portes ouvertes, mais au contraire à faire face à d’imposantes fourches Caudines. Le document rappelle ainsi que des plafonds d’activité maximale autorisée peuvent être imposés aux pays tiers sur certains marchés européens, ce qui s’est par exemple déjà fait sur celui des dérivés.

Les experts de la DG chargée des services financiers, auteurs du rapport, soulignent également la nécessité d’une véritable « supervision continue » des réglementations des pays tiers concernés et de leur mise en oeuvre, en donnant un rôle accru au régulateur européen, l’ESA, dont la possibilité de contrôles au sein des établissements financiers. Ce suivi fait aujourd’hui défaut et des voix s’élèvent contre le risque de voir Londres se dédouaner des règles européennes une fois les équivalences acquises. Cette supervision plus méthodique devrait concerner, poursuit le rapport, outre les systèmes de supervision, les « développements conséquents des marchés », afin que Bruxelles puisse au plus près réviser ou annuler les équivalences accordées. Le document pointe enfin, pour « établir une clarification utile » des règles du jeu, que « la Commission a le droit de s’ajuster, y compris à travers les termes de l’équivalence, à tout développement contraire dans des juridictions » dont les règles et dispositifs de supervision étaient préalablement jugés satisfaisants. Le message est aussi destiné à Donald Trump, qui laisse planer le doute sur le devenir des accords internationaux sur la régulation financière.

« Bruxelles indique clairement à Londres que l’équivalence n’est pas un passeport bis. C’est logique. L’idée n’est pas de fermer la porte aux capitaux anglais, mais de garantir une intermédiation européenne. Dans une vision de moyen-long terme, une intermédiation offshore n’est pas envisageable. Ce n’est pas un signal protectionniste mais un signal de bon sens », analyse Nicolas Véron, expert financier à l’institut Bruegel et au Peterson Institute.

« C’est un document de travail, tente-t-on de relativiser dans les couloirs de la Commission, pas un document lié au Brexit, pour lequel les discussions n’ont pas commencé.  » Pas officiellement du moins. Mais ce rapport rappelle qu’en coulisse la partie est bien lancée.

Bureau de Bruxelles Derek Perrotte