Affaire Areva : l’énigme Sébastien de Montessus

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Le président du conseil d’Areva, Jean-Cyril Spinetta, pousse à sa démission, mais le président du directoire, Luc Oursel, continue, tant bien que mal, à le soutenir… Le retour sur terre est brutal pour Sébastien de Montessus. Voilà encore trois mois, le patron des mines du groupe nucléaire pouvait s’enorgueillir d’un parcours sans faute. Mais pour avoir été à l’origine d’un rapport d’enquête sur le mari de son ancienne présidente, Anne Lauvergeon, le jeune dirigeant s’est soudain retrouvé en première ligne dans « l’affaire UraMin « , cet imbroglio lié à l’acquisition contestée d’une société minière canadienne, en 2007. Le voilà aujourd’hui sur la sellette. Accusé de trahison par les uns, de légèreté par les autres. Lui assure n’avoir rien fait d’illégal, et continue de croire en sa bonne étoile.

Etonnante trajectoire, que celle de cet homme à l’énergie contagieuse, et à l’ambition dévorante. Pour tenter de cerner le personnage, il faut remonter à son père Robert de Montessus de Ballore. A peine marié, ce pur produit de l’aristocratie française part en coopération au Niger, où il fore des puits d’eau. C’est là que Sébastien de Montessus passe les premiers mois de sa vie. « Je suis un enfant du Niger et de l’Afrique », se plaira-t-il à dire, trente ans plus tard aux dirigeants politiques nigériens rencontrés dans le cadre de ses fonctions. Après deux ans à Niamey, la famille s’envole vers l’Afrique du Sud et le Cap,où le père, ingénieur chez Framatome, participe à la construction de la centrale nucléaire de Koeberg.

Le week-end, la famille part en quête des paysages dignes de « Out of Africa » et à la recherche de minéraux rares. Parents comme enfants déterrent au marteau des pierres précieuses, topazes, améthystes, etc. Deux frères et une soeur naissent sur le sol africain. Mais un drame vient bouleverser cette existence paisible. Lors d’un périple en Namibie, son père meurt dans un accident de voiture. Coïncidence troublante : l’accident a lieu près de Windhoek, non loin du principal gisement d’UraMin… Sébastien de Montessus a alors huit ans. « Le décès d’un père, cela marque un enfant et le fait grandir », commente-t-il simplement. Retour en France quelques mois plus tard. Scolarité dans le privé, Mat Sup à Jeanson de Sailly, présentation au concours général de philosophie…

A Sup de Co Paris, il brille plus par ses régates -Trophée des Caraïbes, Course de l’Edhec… -que par son assiduité. Premier job à Londres, chez Morgan Stanley, où il passe trois ans. Puis il est gagné par la fièvre des télécoms et crée à Paris son entreprise avec deux associés : Ofye, qui signifie « Only for your eyes  » et n’est pas sans rappeler les aventures d’un agent secret britannique. Le concept ? Des plates-formes pour téléphone mobile. Après plusieurs levées de fonds, la start-up est rattrapée par l’éclatement de la bulle et dépose le bilan en 2002. Sébastien de Montessus rejoint alors la direction de la stratégie d’Areva. En charge des fusions et acquisitions, il sera notamment à la manoeuvre lors du rachat de l’activité de transmission et distribution d’Alstom (T&D;). Un épisode marquant, qui lui vaut d’être repéré par la présidente du directoire, Anne Lauvergeon, et son bras droit, Gérald Arbola. En janvier 2004, il se voit confier l’intégration de T&D;, puis son redressement, avec le patron de la branche, Philippe Guillemot. Au bout de trois ans, l’ancienne division déficitaire d’Alstom devient une machine à cash pour le groupe nucléaire.

Un travail remarquable

Au même moment, Areva perd son patron des mines, Tim Gitzel, parti chez le canadien Cameco. La direction peine à trouver un nouveau dirigeant pour cette activité qui devient stratégique, mais manque de dynamisme. « Ca végétait depuis des années « , lâche un proche de l’ancienne patronne. Celle-ci est peu convaincue par les mercenaires que lui présentent les chasseurs de têtes. Comme avec Philippe Knoche, nommé directeur de la stratégie à trente et un ans, Gérald Arbola lui suggère de faire le pari de la jeunesse avec Montessus. Nous sommes en juillet 2007.

Le pari est audacieux. Le jeune dirigeant est un bourreau de travail, certes. Mais à trente-trois ans, sera-t-il à la hauteur des enjeux complexes de la mine ? Il faut séduire les chefs d’Etats, négocier avec les électriciens, gérer des investissements de 3 milliards d’euros en cinq ans, composer avec les aléas techniques et politiques propres au métier de mineur… Très vite, le nouveau patron au tutoiement facile impose un style convivial, mais clanique. Les deux premières années, en vrai chef de meute, il réunit son équipe de direction une fois par mois sur un site minier. « On était par – 40° au Canada et le mois suivant dans le désert par + 40° au Niger », se souvient l’un de ses collaborateurs. La journée : revue des projets, analyse détaillée des moindres indicateurs. Le soir : dîner autour d’un feu, en plein désert, à parler rugby ou échafauder des plans d’action…

La méthode lui réussit. En quelques mois, il signe un accord clef avec le Kazakhstan, développe ses mines au Niger, réduit les accidents… « Il a fait un travail remarquable pour réduire les coûts de production », reconnaît un pilier du groupe nucléaire. Dès 2009, l’activité double sa production et rafle à Cameco le titre de leader mondial du secteur. C’est durant cette période que Montessus noue une relation privilégiée avec Anne Lauvergeon. A ses côtés, il participe aux rencontres officielles avec les chefs d’Etat étrangers. Elle admire son dynamisme et son efficacité. Il est sidéré par son pouvoir et son culot. Ils s’apprécient, au point de passer une fois des vacances ensemble en Namibie, accompagnés de leurs familles.

La Namibie, terre de pèlerinage pour l’orphelin de père, enjeu stratégique pour l’industriel. C’est là, justement, que se trouve le principal gisement d’UraMin, la société canadienne qu’Areva s’est offerte en juin 2007 – un mois avant qu’il ne prenne les commandes de la division minière. Une acquisition dont on n’a pas fini de parler. Car UraMin pose problème : ses équipes locales manquent de compétence, les réserves sont douteuses et les coûts de production explosent. Dans un premier temps, l’envolée des cours de l’uranium, qui ont touché un record à 135 dollars la livre en juin 2007, justifient toutefois l’opération. Sous la houlette de Sébastien de Montessus, le groupe va investir en Namibie 1 milliard d’euros en quatre ans. « UraMin a eu un effet structurant sur Areva et sa division minière, en lui offrant une visibilité et des moyens considérables « , argumente un ancien de la maison. C’est aussi une opération emblématique pour Anne Lauvergeon, qu’on dit – déjà -assise sur un siège éjectable.

Enjeu de pouvoir

Très vite, cet investissement à risque concentre les critiques de ses adversaires. Mais parallèlement, le pôle minier d’Areva suscite bien des convoitises. Des scénarios de scission, ou d’ouverture du capital, commencent à circuler. Fin 2009, Anne Lauvergeon fait appel à François Roussely, vice-président de Credit Suisse Europe, et qui vient de se voir confier par l’Elysée une mission sur l’avenir de la filière nucléaire. La patronne d’Areva, elle, lui demande de plancher sur la valorisation des mines. C’est à cette occasion que Sébastien de Montessus fait la connaissance de l’ex-PDG d’EDF. Contrairement à « Atomic Anne « , qui l’abhorre, il voit en lui un grand serviteur de l’Etat. François Roussely apprécie pour sa part sa vision stratégique.

La perspective d’une cotation en Bourse de son activité, alliée à son espoir de fusionner avec Eramet, le spécialiste français du nickel et du manganèse dont Areva possède 26 %, donne des ailes à celui qui a hissé son entreprise au premier rang mondial de l’uranium. Sébastien de Montessus multiplie les rendez-vous dans les cabinets ministériels pour défendre la création d’un pôle minier français. « La famille Duval [actionnaire d’Eramet à 37 %] y était opposée, concède-t-il deux ans plus tard. Mais cela a permis à l’Etat de prendre conscience du caractère stratégique de la filière minière. » Une chose est sûre, sa division devient un enjeu de pouvoir et il le sait. « On commence à générer de l’appétit, soit auprès d’investisseurs potentiels, soit en interne pour financer l’activité du groupe », observe-t-il. Mais une ombre menace de noircir le tableau : UraMin, qui cumule les déconvenues.

A plusieurs reprises, son responsable recommande de déprécier la société, mais le directoire s’y refuse. « J’ai fait mon travail d’alerte », insiste-t-il. « C’est à ce sujet que, début 2011, les premières tensions apparaissent entre Sébastien de Montessus et Anne Lauvergeon « , raconte un cadre. Deux logiques s’affrontent. Celle de la division, qui constate les coûts de production exorbitants du gisement namibien de Trekkopje et encaisse les pertes. Et celle du siège, qui refuse de déprécier pour maintenir la pression sur le management, afin qu’il réduise ses coûts. S’y s’ajoute sans doute une dimension personnelle, inavouable. La patronne ne souhaite pas qu’UraMin vienne ternir son bilan alors qu’elle vise le renouvellement de son mandat, qui se termine en juin 2011.

Appel à un détective privé

Dès lors, l’affaire va tourner au roman d’espionnage. Car en coulisses, l’opération UraMin suscite toujours plus d’interrogations, de rumeurs aussi… En mars 2011, le patron des mines, et Jean-Michel Chéreau, le nouveau directeur de la protection du groupe, confient plusieurs enquêtes au cabinet d’intelligence économique suisse Alp Services. La plus sensible porte sur une « « due-diligence » exhaustive de diverses personnes physiques et morales « , avec, en filigrane, une feuille de route bien précise : déterminer si oui ou non, l’acquisition s’est faite dans des conditions discutables, et si des personnes ont pu en bénéficier de manière illégitime. Le détective privé mandaté, Mario Brero, se penche notamment sur Olivier Fric, le mari d’Anne Lauvergeon, dont les déplacements, les comptes bancaires et les appels téléphoniques sont systématiquement épluchés. Sébastien de Montessus nie avoir explicitement donné le nom d’Olivier Fric, qu’il connaît personnellement, et dément avoir demandé à l’agent de recourir à des moyens illicites : « Ce n’est pas la mission que nous lui avons confiée ! »

Mais le jeune dirigeant, que ses ennemis eux-mêmes décrivent comme quelqu’un d’attachant, tisse une relation personnelle avec Mario Brero, émaillée de rencontres pittoresques. « Entrevois-tu une petite fenêtre possible dans ton agenda, écrira le 21 octobre 2011 l’espion au dirigeant d’Areva, selon un document versé au parquet dans le cadre de la plainte contre X déposée par Anne Lauvergeon et son mari. Donne-moi un lieu, une date, une heure et je serai ton homme, car, comme tu le sais, malgré ma corpulence, j’ai la souplesse du félin alliée à celle d’une ballerine du Bolchoï… » Sébastien de Montessus semble s’être laissé séduire par ce monde de l’espionnage. « Mario Brero a des choses marrantes à raconter et m’apporte des clefs de lecture précieuses sur le Kazakhstan, où nos permis sont alors menacés », explique-il. Son seul regret : ne pas avoir « cadré  » l’agent avec la direction de la protection.

« On s’expliquera « 

Sur le fond, le patron des mines d’Areva assume sa démarche : « Nous disposions d’une première enquête, faite en 2010 par le cabinet d’intelligence Apic et évoquant des soupçons d’escroquerie autour de l’achat d’UraMin, assure-t-il. On ne voulait pas laisser le sujet en l’état et qu’il devienne un élément de campagne contre Anne Lauvergeon. » L’intéressée a une tout autre version. Pour elle, Sébastien de Montessus s’est fait manipuler par ceux qui ont obtenu sa tête, l’été dernier, et son remplacement par Luc Oursel. « Je n’arrive pas à croire qu’il se soit lancé tout seul, a-t-elle déclaré en janvier. Il faut de sacrées garanties pour basculer ainsi dans la délinquance. » Une attaque que Sébastien de Montessus n’accepte pas. « On s’expliquera », tranche son ancien protégé, lapidaire.

Chez Areva, l’heure est aujourd’hui à l’apaisement. . Au passage, il a aussi rappelé le « développement remarquable » de l’activité minière. « Cette reconnaissance, méritée, du travail effectué par les équipes des mines est bien entendu partagée par le directoire », a souligné Luc Oursel le lendemain dans un message aux 50.000 collaborateurs. Combien de temps soutiendra-t-il Sébastien de Montessus, qui apparaît à beaucoup comme un fusible idéal, mais dont le silence pourrait lui être précieux ? « Je suis capable de donner le meilleur de moi-même, insiste le directeur des activités minières… Si on m’accorde clairement confiance.  »

@ThibautMadelinSuivre