Elliott, de l’Argentine à Wall street, itinéraire d’un fonds gâté

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En hausse de près de 8%, contre 2,3 % pour les autres activistes, le hedge fund Elliott fondé par Paul Singerest en confiance et multiplie les initiatives dans un secteur pourtant morose. Il vient de prendre pied chez Cognizant Technology Solutions, en acquérant plus de 4% du capital et en réclamant des changements (rachats d’actions, changement de conseil d’administration…) C’est la méthode classique des activistes. Les remèdes ne sont pas originaux mais la voix du hedge fund porte davantage que celle des autres actionnaires et à cette annonce, le titre a bondi de 7% lundi.

Hedge fund multi-stratégies

Ce fonds est surtout connu du grand public pour son long bras de fer avec l’Argentineou ses démêlés avec le groupe Samsung. Ses actifs de près de 30 milliards de dollars, multipliés par deux depuis 2009, lui permettent de s’attaquer à des forteresses supposées imprenables. Ses capitaux sont diversifiés sur de nombreuses stratégie, crédit, activisme, produits structurés, immobilier, capital investissement. A fin septembre, les actions représentaient une douzaine de milliards de dollars. Très présent aux Etats-Unis, son marché d’origine, le fonds s’est développé en Asie (bureau à Hong Kong), et s’intéresse davantage à l’Europe et à la Grande-Bretagne.

« Le temps c’est du risque « 

Dans une interview au magazine « Barron’s » fin octobre le co-directeur des investissements de Elliott John Pollock explique l’essence de l’activisme. « Le temps c’est du risque ». Plus un investisseur est longtemps investi sur un titre « plus un nombre élevé de choses que vous n’avez pas analysées peuvent se produire « . L’activisme est une forme d’impatience rationnelle, un moyen d’accélérer le temps en précipitant des changements, ce qui réduit la durée d’investissement et risques.

Les belles affaires

Entremetteur, le fonds a marié cette année LifeLock à Symantec. Il avait investi dans la première société en juin à des cours compris entre 11 et 15 dollars, et contre un cours de rachat de 24 dollars. Le hedge fund a ainsi près de doublé sa mise en quatre mois. Autre très belle affaire, il a acheté 8,1% du capital de Mentor Graphics en septembre, tombé dans l’escarcelle de Siemens à la mi-novembre. Le fonds a aussi lancé des campagnes activistes dans la santé (Abb Vie), les biens de consommation durables (PulteGroup). Dans la technologie, il a investi cette année dans Qlik Technologies, Cognizant. Il invite cette dernière à verser des dividendes, augmenter ses rachats d’actions et remodeler son conseil d’administration. De manière opportune, il avait acheté des actions de prisons (Geo group, CoreCivic) avant les résultats du scrutin américain. Or, ces titres ont fortement progressé depuis l’élection de Trump, CoreCivic a ainsi bondi de près de moitié le jour des résultats, permettant au fonds d’engranger de fortes plus values de plusieurs dizaine de millions de dollars en quelques mois.

Vendeur à découvert

Ses 10 premières participations (Hess, Arconic…) représentent un peu plus de la moitié de son portefeuille boursier. Ses actions, il les détient entre 3 et 4 trimestres en respectant une certaine diversification sectorielle : finance (27%), technologies de l’information (25%), énergie (15%), santé (12%). Le hedge fund est vendeur à découvert sur 0,7% du capital du groupe Bluefield Solar income fund ainsi que sur 0,9% du capital de l’italien EI Towers spa, et sur 2,4% du capital de Brembo Spa (système de freinage pour automobiles).

Une longévité et performance exceptionnelles

Quarante ans est une longévité exceptionnelle dans le monde des hedge funds. Elliott est le deuxième fonds le plus ancien de grande taille derrière celui de George Soros (aujourd’hui transformé en family-office) et un des plus performants de l’histoire avec un rendement moyen annuel de 13,5%.

Fondé en 1977 par Paul Singer, le fonds s’est d’abord spécialisé sur l’arbitrage d’obligations convertibles, comme Citadel de Ken Griffin, et jusqu’au krach de 1987. Son hedge fund, qui gère alors 200 millions de dollars, décide de se diversifier sur ce qui va devenir son point fort et marque de fabrique, l’art de tirer parti des faillites (sociétés, Etats…) , qui vont se multiplier. Les crises vont lui réussir autant que les périodes d’expansion lui permettant de traverser les cycles. Seulement, il va devoir s’assurer que sa force de frappe lui permet de mener de longues batailles.

Le fonds avait collecté beaucoup d’argent entre 2006 et début 2009, plus de 5 milliards, grâce à un système de levée de capitaux atypique dans le monde des hedge funds. Pendant deux ans, les investisseurs qui avaient investi dans le hedge fund pouvaient être conduits à augmenter leurs placements dans le hedge fund de manière contractuelle. Cela permettait au fonds de concentrer ses souscriptions sur une période donnée et éviter que l’argent entre et sorte du fonds à tout moment et pénalise sa gestion et performance. Car les clients sont aussi astreints à une durée minimale d’investissement longue assorti de préavis de sortie. Bilan, le fonds n’a jamais eu à effectuer des ventes paniques pour récolter de l’argent et permettre à des investisseurs de sortir de son fonds.

Les capitaux collectés en 2006-2008 lui ont permis de saisir les opportunités (actifs et dette dépréciées) nées de la crise de 2008 au moment même où certains des ses concurrents fermaient la porte. Elliott a ainsi gagné près de 31% en 2009.

A la différence d’un activiste comme Bill Ackman de Pershing qui ne couvre pas systématiquement ses positions, Elliott en fait un principe de sa gestion des risques. Et son portefeuille contient un grand nombre d’options de vente sur les marchés (Nasdaq, obligation à haut rendement…) ou sur les valeurs individuelles. Ainsi, en 2008, le fonds a perdu moins de 3% : sa seule année dans le rouge avec 1998 (-7%) en quarante années d’existence. En outre, les rendements du hedge fund sont très peu corrélés aux marchés ou à ceux des autres fonds, et sont très réguliers. Aujourd’hui, le fonds utilise peu l’effet de levier (endettement), hormis sur le crédit.

Nessim Aït-Kacimi