grogne dans le camp Alcatel

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Les relations des pôles électronique et aéronautique français s’annoncent tumultueuses : le mariage Aerospatiale-Matra Hautes Technologies (MHT) a été très mal reçu par Serge Tchuruk, patron d’Alcatel, et par Denis Ranque, président de Thomson-CSF. Alcatel a d’ailleurs confirmé hier la démission de Serge Tchuruk du conseil d’administration d’Aerospatiale rapportée par« La Tribune « . Le patron d’Alcatel y avait été nommé par l’Etat au titre des personnalités qualifiées, alors qu’il présidait Total. Mais le président de Thomson-CSF, Denis Ranque, s’est, le premier, mis en travers du projet de fusion Aerospatiale-MHT. Au point d’inciter le gouvernement à précipiter dès la soirée du 22 juillet _ et non le 23 juillet comme prévu _ la publication du communiqué annonçant la fusion.

Serge Tchuruk a écrit à Yves Michot le 22 juillet pour lui expliquer que sa conception d’une saine« corporate governance » l’empêchait de se maintenir au conseil d’administration d’Aerospatiale, compte tenu des conflits d’intérêts que la nouvelle situation ne manquerait pas de créer, il visait aussi implicitement le destinataire de la missive. En toute logique, Yves Michot aurait dû démissionner du conseil de Thomson-CSF. Cette requête aurait pris une forme explicite quand Yves Michot s’est trouvé confronté dans la matinée du 24 juillet à Denis Ranque et Serge Tchuruk, à la table du conseil d’administration de Thomson-CSF. Mais elle n’a suscité qu’une fin de non-recevoir de la part du patron d’Aerospatiale désigné, il est vrai, en tant que représentant de l’Etat.

Denis Ranque et Serge Tchuruk ont des raisons assez parallèles de contester l’opération. D’une part, le mariage des missiles d’Aerospatiale et de Lagardère isole l’activité de Thomson-CSF dans ce secteur, alors qu’initialement un accord dans les missiles entre Thomson-CSF et Aerospatiale _ encore à l’étude fin juin _ devait voir le jour. Cette alliance devait s’ouvrir rapidement à GEC-Alenia.

Une clause embarrassante
D’autre part, après avoir pris le contrôle des activités satellites d’Aerospatiale (entre-temps apportées à Thomson-CSF puis transférées dans un joint-venture où Alcatel est majoritaire), Serge Tchuruk apprécie peu le retour d’Aerospatiale dans ce métier qui sera effectif quand le constructeur d’avions aura pris le contrôle de Matra Marconi Space (MMS), le J.V Matra-GEC spécialisé dans l’espace.

Certains, chez Alcatel, estiment que la contestation des modalités de constitution du futur pôle aéronautique français s’appuie sur une base juridique solide. Une clause de « non-rétablissement », sorte de pacte d’actionnaires lie les quatre signataires (Thomson-CSF, Alcatel, Dassault et Aerospatiale) de l’accord industriel préparant la privatisation du groupe d’électronique français. Il interdit à chacun d’entre eux, sauf accord express des tiers, de venir concurrencer par la bande les activités du nouveau pôle d’électronique. Dans cette mesure, Thomson-CSF se sent également concerné par cette disposition.

Selon que l’activité satellites de MMS pèse plus ou moins de 25 % du chiffre d’affaires de MHT, la clause de non-rétablissement s’imposera ou non à Aerospatiale. Fidèle à ses habitudes, Lagardère consolidait à 100 % les 8 milliards de francs de chiffre d’affaires de MMS (dont 70 % dans les satellites). Rapportés aux 21 milliards de francs de chiffre d’affaires de MHT, l’activité satellites dépassait dans ces conditions le seuil de 25 % en question. Aussi, quand il se sera substitué à Lagardère dans MMS, Aerospatiale a l’intention de ne consolider cette filiale qu’à hauteur de 50 %, afin de ne pas activer cette clause. Reste enfin que l’Etat a tout loisir d’exonérer Aerospatiale de cette obligation au nom d’une décision de restructuration industrielle engageant les intérêts nationaux.

Comme le déclare un des protagonistes de l’affaire, « il y a clairement un chapitre de discussions ouvert « . Toutes les parties cherchent à dédramatiser le débat. Et il est peu probable que Serge Tchuruk présente un recours en bonne et due forme contre une opération dont il n’a pas, comme Denis Ranque, encore été saisi officiellement. Ce qui signifie d’une part que le patron d’Alcatel va se trouver en position d’obtenir une compensation du gouvernement et, d’autre part, que celui de Thomson-CSF va pouvoir négocier en bonne position le rapprochement de ses missiles avec Aerospatiale.

JEAN-PIERRRE NEU