Manger « sans » pour manger sain

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Après avoir longtemps résisté, la France se met à l’heure du «clean label » (étiquette propre) : sans gluten, sans lactose, sans sucre ajouté, sans protéine animale et de préférence sans additifs ni pesticides. Yuka, l’application qui scanne le code-barres des produits et révèle tout ce qu’ils cachent (colorants, conservateurs…), fait peur aux marques et aux grandes enseignes. Le distributeur Système U l’a bien compris, qui lance sa propre appli Y a quoi dedans.

« La mode vient des pays anglo-saxons. Elle ne va pas de soi dans un pays où il est de tradition de manger équilibré, un peu tout et en cherchant avant tout à se faire plaisir », constate Marie-Odile Fondeur, organisatrice du Sirha, le grand Salon de la gastronomie, qui se tient tous les deux ans à Lyon. Innovation 2018, la session spéciale « Green  » 100 % bio, qui a attiré 200 exposants dès sa première édition.

Plus qu’une mode

Une mode ? Bien plus en fait, selon le consultant François Blouin de l’agence Food Service Vision, spécialiste de la restauration hors domicile qui étudie les attentes des consommateurs. L’un de ses derniers sondages d’octobre 2017 indique que 96 % des Français adhérent maintenant à l’idée que l’alimentation a un lien direct avec la santé. Logique que nous soyons 30 % à consommer des produits bio et que la part de ces derniers dans les paniers de course progressent au rythme de 15 à 20 % chaque année.

Faire attention à ce qu’on met dans son assiette (re)devient déterminant. Un vrai tournant pour Gilles Fumey, professeur de géographie de l’alimentation à Sorbonne Université. «Pendant longtemps, seul le prix comptait et beaucoup considéraient que dépenser plus pour avoir de la bonne nourriture c’était de l’argent perdu.  »

Plus étonnant, une précédente enquête (2016) de Food Service Vision, révélait que plus d’un Français sur trois se disait intéressé par des produits sans gluten et quatre sur dix par une offre végétarienne.

« Les consommateurs tous âges confondus veulent des produits plus naturels. Cette exigence se double chez les plus jeunes par un désir de transparence et d’authenticité qui les porte vers le local et tout ce qui peut contribuer à faire du bien à la planète en réduisant notamment la consommation de protéines animales », analyse Jean-Marc Liduena, associé chez Deloitte chargé de la consommation. Il met en garde cependant sur l’excès de cette «litanie des sans. Le no glu(ten), c’est un peu comme le low fat des années 1990, dont on est ensuite revenu». Attention à ne pas construire « une tendance pour la majorité à partir de la demande d’une petite minorité », lance-t-il. On estime, en effet, à seulement 1 % de la population, la proportion de gens atteints de maladies coeliaques (qui ne digèrent pas du tout le gluten). Mais le nombre de ceux qui se disent « intolérants  » progresse.

Réconcilier plaisir et santé

« Le défi pour l’industrie agroalimentaire va être de donner envie de manger sain pour la santé sans nuire au plaisir « , observe de son côté Pierre Bisseuil, directeur de recherche chez Peclers Paris.

Les grands groupes ont pris le virage. Exemple Danone, devenu leader des produits frais bio grâce au rachat de la firme américaine White Waves. D’ici à 2020, le français proposera une offre bio pour toutes ses marques enfant. Il s’engage aussi à réduire la quantité de sucre de l’ensemble de ses recettes. D’ores et déjà, Yoothie, l’hybride yaourt/smoothie pour les Millennials, met en avant sa teneur réduite en sucre (moins de 6,5 %), son profil «clean», sans arôme ajouté, ni additif, ni conservateur ou colorant. Après le jambon sans antibiotiques, Fleury Michon a sorti une gamme sans conservateur à base de nitrites (Herta aussi).

Le fabricant de chocolat Marc Cluizel n’a pas attendu le phénomène du « sans » pour agir. Lui qui fournit en matière première la quasi-totalité des grandes maisons, part du principe que « tous les ingrédients doivent être connus et compris des consommateurs ». Depuis dix-huit ans, ses chocolats ont renoncé à la facilité des arômes ajoutés et aux ingrédients OGM. Comme émulsifiant, il a remplacé la lécithine de soja (souvent OGM) par la lécithine de colza et n’a pas hésité à augmenter les quantités de beurre de cacao.

Pareil chez les vignerons du Val de Loire où le vin bio et sans sulfite (dérivé soufré antioxydant mais allergène) progresse à grands pas comme en témoigne Nicolas Emereau, directeur général d’Alliance Loire, une coopérative de six caves qui vend partout (grande distribution, cavistes, hors domicile). «A l’export, c’est devenu le nouveau standard malgré le différentiel de prix de l’ordre de 30 à 40 % par rapport aux vins conventionnels. «