Retour vers le XVIIIe siècle

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Elancé et élégant, il parle d’une voix grave et lente avec dans ses manières un je-ne-sais-quoi emprunté au XIXe siècle anglais. Kristen Van Riel, cinquante-quatre ans, ancien avocat d’affaires, ancien directeur de Sotheby’s France, s’est désormais retiré sur ses terres de Bourgogne. Si l’homme d’affaires avisé est au fait des choses du XXIe siècle, son univers intime tient à un temps ancien fait de bonnes manières, d’éducation et d’une certaine légèreté. Un temps aussi où l’esprit était pratiqué comme l’un des beaux-arts. Un monde presque oublié si ce n’est dans le roman de Choderlos de Laclos, père des « Liaisons dangereuses » et aussi dans l’esprit de Kristen Van Riel.

Sa manière à lui de commémorer cette époque est particulière. Cultivant de longue date un goût pour les décors, il a recréé dans ses intérieurs successifs, bien que sans obsession historique, ce monde raffiné du passé. Il n’est donc pas un collectionneur maniaque d’objets individuels, mais est animé par une vision globale, une esthétique de la vie quotidienne.

Cette passion-là a commencé très tôt chez Kristen Van Riel. A quatorze ans déjà, on lui confiait un budget pour décorer sa chambre. Il acheta des gouaches de vues napolitaines, principalement du XIXe siècle. La ville face à la mer, l’Etna, le jour, la nuit… « Ce fut ma première collection. Pendant longtemps, environ une dizaine d’années, je me suis concentré sur ce thème. C’était décoratif et accessible financièrement. J’aimais aussi le côté architecturé de ces images. »

Mais un beau jour, il décide de vendre le fruit de ses efforts aux enchères. Il veut faire l’acquisition d’un tableau du XVIIIe siècle peint par un artiste français inconnu représentant l’intérieur du palais d’Apollon. Son engouement pour le style néoclassique est né et ne se démentira pas. « La ruine, le temple… Je suis un fanatique du néoclassique », confirme-t-il. En vrac, il cite ses idoles, ses acquisitions, ses références : « Palladio, Hubert Robert, les fragments de marbre antique… » Il est aussi amateur d’objets qui rappellent une pratique oubliée, « le grand tour », qui consistait à voyager de l’Italie à la Grèce sur les traces des civilisations antiques. Ne lui demandez pas son opinion sur le dernier Goncourt. Il citera plus volontiers le prince de Ligne, Charles-Joseph de son prénom, homme d’esprit belge, cosmopolite et ami de Mme de Staël et de Catherine II. A moins qu’il ne se réfère à Mme de Maintenon, l’épouse secrète de Louis XIV. « Oui, j’ai une certaine nostalgie, avoue-t-il. J’aime recréer des sortes de capsules d’un passé revisité. »

Progression professionnelle et moyens financiers aidant, de ses premiers tableaux, il est donc passé à l’acquisition de meubles, des meubles aux bronzes et des bronzes aux porcelaines. Dans son château du XVIIIe siècle « en restauration pour quelques années encore », situé loin des axes fréquentés, à 40 kilomètres de Moulins, il a conçu un mélange éclectique. Même si l’esprit global du lieu évoque plutôt ce néoclassicisme qu’on trouve à l’époque de Louis XVI, il est élargi « à ce qu’aurait pu ramener un voyageur en Europe à la fin du XIXe siècle », explique Kristen Van Riel.

Durant l’été, le châtelain fait visiter quelques-unes des cinquante pièces de sa demeure en racontant des anecdotes de l’époque (*). Il montre aussi la galerie de portraits (quatre-vingts) d’une branche éteinte de la famille : les Saint-Maurite, des nobles de Franche-Comté. De la fenêtre, l’ancien avocat d’affaires admire « une vue ouverte sur 80 kilomètres de paysage sans ligne à haute tension » avant de se retourner et contempler tel meuble ou tel tableau.

Parmi ses favoris, une peinture de Pierre-Antoine Demachy (17231807), un spécialiste des paysages d’architecture, représentant l’entrée des Tuileries à la Concorde. « On y voit les deux chevaux de Marly, l’architecture de la place et les jardins avec l’ombre des frondaisons. La composition est baignée de mystère. » Il l’a acquise lors de la vente du château de Groussaye, chez Sotheby’s, qui avait été décoré par un dandy cultivé du nom de « Charles de Beistegui », une référence pour Kristen Van Riel.

Il parle aussi d’une chaise longue estampillée Tilliard, un des grands noms de l’ébénisterie sous le règne de Louis XV. « Admirable. C’est un chef-d’oeuvre d’équilibre. Proportions, légèreté, sculpture… C’est le premier meuble Louis XV dont j’ai fait l’acquisition. Une rondeur naturellement élégante contrairement à la raideur du Louis XVI. » Et d’ajouter avec humour : « Je commence à me dévergonder. »

JUDITH BENHAMOU-HUET

(*) Château de Saint-Aubin-sur-Loire. Ouvert en juillet et août et sur rendez-vous (03.85.53.91.96). Kristen Van Riel, avocat, est un ancien associé du cabinet Wilkie Farr & Gallagher, ancien directeur général de Sotheby’s France, ancien PDG d’International Real Returns.